Les fantômes du jour partie 1
- Laurence Clément

- Oct 29
- 4 min read
Par Laurence Clément
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Lynh a toujours été solitaire, introvertie et silencieuse dans un monde où la socialisation, l’extravagance et la communication sont fortement encouragées. Elle ne s’est jamais sentie à sa place dans les endroits bondés, vivants et bruyants, les trouvant trop dérangeants et préférant les endroits déserts, inertes et silencieux comme les cimetières. Un endroit où aucun son, aucun mouvement et aucune personne ne vient déranger. Que du bonheur ! Tout allait bien lors de ses funestes visites au cimetière jusqu’au jour où elle réveilla accidentellement l’esprit qui reposait dans la tombe en-dessous de son endroit favori où elle se trouvait. À partir de ce jour, elle ne put plus profiter de sa solitude, mais devait endurer la compagnie forcée de son nouvel « ami » qui semblait bien décidé à ne pas la lâcher. Voici leurs aventures !
Qu’est-ce qu’elle détestait Halloween ! Les maisons décorées de lumière qui rendent aveugle, les décorations énormes qui cachent les maisons, les petits monstres détestables costumés de façon absurde qui se pensent exceptionnels et qui courent comme des zombies affamés en quête de sucre, les papiers dégueulasses de bonbons industriels qui sentent le diabète et qui sont laissés au sol pour continuer à tuer mère nature et tout le reste qui vient avec cette horrible fête commerciale. Tout cela irritait Lynh. Mais le pire pour elle cette année était qu’elle participait à cette fête minable qui lui donnait envie de vomir ses tripes. Et oui, malgré son refus catégorique de sortir de son appartement, on avait quand même réussi à lui faire enfiler un déguisement et à la faire se promener dans les rues du quartier en la menaçant de lui chanter du Michael Jackson en boucle toute la soirée si elle refusait. Face à cette menace, Lynh a préféré garder ses oreilles intactes. Ses piercings lui faisaient déjà un peu mal alors pas besoin d’en rajouter une couche.

-Tu devrais gambader, lui chuchota doucement une voix mielleuse, ça irait bien avec ton personnage de petit chaperon rouge.
Lynh ne dédaigna pas de tourner la tête ou même donner de l’attention à l’interlocuteur et continua à marcher normalement tout en tirant son grand capuchon vers l’avant pour cacher son visage.
-Tu m’ignores toujours parce que je t’ai fait vêtir autre chose qu’un de tes vieux chandails ?
- Il est rare que je porte une quelconque attention au fantôme errant dans la vie de tous les jours, répondit sarcastiquement la jeune femme.
À cette réponse, l’esprit roula des yeux en soupirant d’un air dramatique.
-Fantôme errant ? Vraiment ? L’autre fois, tu m’a appelé « le fantôme de compagnie » comme si j’étais un vulgaire chien, se plaignit le défunt, tu pourrais faire un effort et m’appeler Malice ? C’est juste 6 lettres !
-Mais ce n’est pas ce que tu es ? questionna Lynh en s’emmitouflant dans sa cape de velours pour essayer de trouver un minimum de chaleur dans la température glaciale de cette soirée, après tout, tu me suis à la trace, tu jappes sans arrêt et tu fais des conneries en tout temps.
Malice sourit et lui leva son doigt en guise de réponse. Malice. C’était le nom qu’il s’était donné lors de leur première rencontre au cimetière Mont-Royal. Bien qu’elle ait évoqué le fait que ce ne soit pas un vrai prénom, il a affirmé que c’était le sien et que si sa pierre tombale n’était pas dans un piteux état, il y aurait « Malice » écrit dessus. C’est aussi depuis ce jour qu’il ne l’a plus jamais lâchée. Sa vie si tranquille et parfaite a éclaté en morceaux comme un miroir qui se brise et il faut croire que ce miroir a éclaté en sept morceaux comme les sept semaines d’enfer qu’elle a vécues avec cet emmerdeur de première classe.
-Au lieu de me parler avec ton vieux ton plate, pourquoi t’essayerais pas d’aller faire quelque chose de plus amusant et de plus Halloweenesque, proposa Malice avec un coup de coude amical.
-Halloweenesque n’est pas un mot, espèce d’illettré, donna le chaperon rouge comme réponse, on dit « quelque chose qui est dans l’esprit d’Halloween » et je le suis. Je parle avec un ton plate parce que cette fête est plate en plus d’être grotesque.
-Quoi ? cria le fantôme en se mettant face à Lynh, offusqué d’entendre de tel propos. Comment oses-tu dire ça ? Halloween n’est pas « grotesque » comme tu le prétends avec tes mots connotés. Halloween est magique et permet aux gens de passer un bon moment à explorer leur sentiment de peur en se donnant une poussée d’adrénaline qui leur permettra de vaincre leur peur et d’être félicités pour ça. Halloween c’est sortir de sa zone de confort et faire un pas vers l'inconnu.
À ce discours, la jeune femme prit le temps d’y penser, oubliant même de serrer sa cape rouge rubis autour d’elle pour se réchauffer. La réflexion de Malice sur cette fête des morts lui parlait. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais les mots de l’esprit la concernaient. Peut-être parce qu’elle haïssait sortir de sa zone de confort, sa zone de sécurité, là où elle savait que rien ne pouvait lui arriver. Non, c’est parce qu’elle avait peur, peur d'avancer vers de nouvelles expériences, vers ce qu’elle ne connaissait pas. Elle était terrifiée à l’idée d’essayer d’explorer ce qui l’effrayait tant, de peur de découvrir ce qui pourrait la briser à nouveau…Une simple erreur pouvait tout détruire comme l’autre fois. Elle ne pouvait pas supporter cette idée que tout parte en fumée encore une fois. C’est pour cette raison qu’elle maudissait autant Halloween : elle avait une peur bleue de l’inconnu et ne pouvait pas envisager de la surpasser.
-Je vais te le prouver, s’écria avec assurance Malice ce qui la fit sortir de ses pensées, regarde bien ça!
À ces mots, le fantôme s’envola à toute vitesse vers un immense Dracula gonflable à deux maisons de la position de Lynh et s’y engouffra. Dans les secondes qui suivirent, un groupe de jeunes enfants d’environ 7-8 ans, tous costumés à l'effigie des Avengers, marchait avec leurs sacs de bonbon remplis à ras bord près de la décoration. La décoration prit soudain vie arrachant un cri de terreur aux pauvres bambins qui se mirent à courir en tenant leurs friandises comme si leur vie en dépendait. À ce spectacle, Lynh ne put s’empêcher de lâcher un petit rire.
Comme le disait Malice, peut-être qu’Halloween n’était pas si grotesque que ça finalement.




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